Empruntez les passages souterrains

Numéro 154

Juin 2009

8,00

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Si vous prenez le train, empruntez le passage souterrain, c'est plus prudent.

Si l'annonceur de la gare, dans ses micros, disait "Messieurs les voyageurs, pour emprunter le train, prenez les passages souterrains" il y aurait comme une incompréhension voire une faute de syntaxe. En conclusion on emprunte mais on ne prend pas un souterrain. Portons le débat sur le plan politique.

Doit-on dire : le Président de la République va emprunter de l'argent aux Français ou va prendre de l'argent aux Français à l'occasion de sa décision de lancer "un grand emprunt national" afin de financer "les priorités stratégiques pour l'avenir" ? Sachant que la dette de la France a atteint 1.327 milliards d'euros au 31 décembre 2008 (70 à 75% du PIB), le nouvel emprunt risque encore d'aggraver ce déficit.

Mais, prudent notre Président pour bien gérer l'argent récolté auprès des particuliers ou des sociétés (on parle de 128 milliards et plus pour certains pronostiqueurs) fait appel à deux Sages (Alain Juppé et Michel Rocard) chargés avec leur commission d'experts de définir les priorités.

L'idée d'un emprunt pour sauver la Nation n'est pas nouvelle. Les rois, pour payer la guerre, empruntaient auprès des communes ou des seigneurs, les Présidents de la République en appelaient aux citoyens lorsque la Patrie était en danger. Pinay, Giscard, Balladur, autant de noms liés à des titres d'obligations ou à des coupons de rentes.

L'idée de faire appel à des Sages est encore moins une trouvaille récente. Dès l'antiquité, les empereurs romains prenaient conseil des pythies et les rois de France s'entouraient de cardinaux pour de judicieuses et bénites résolutions.

Nos deux Sages vont donc prendre avis de nos chercheurs, éducateurs, scientifiques, industriels, chefs d'entreprises, partenaires sociaux et autres acteurs économiques. Ils vont établir une sorte de cahier de doléances comme ceux qui servirent à la préparation des États généraux de 1789. L'histoire ne se renouvelle pas et on ne risque pas la Révolution. Quoique !

Maintenant imaginons le trésor ! 128 milliards d'euros, quelque chose comme 100.000 milliards de nos anciens francs. Une cagnotte plus imposante que tous les lotos du monde.

Le problème va résider dans la répartition des deniers, qui donc se servira en premier ?

Regardons un peu parmi les demandes prioritaires :

  1. Hesse des Elfes (SDF) qu'est-ce qui vous ferez plaisir ? Mon carton où je dors a pris l'humidité, j'aimerais bien une couverture en plastique. Très bien, bonhomme, c'est inscrit.
  2. Lache Hélème (HLM) que faut-il pour votre bonheur ? La chaîne du vélo du p'tit dernier est cassée, il n'a plus de freins... Un vélo d'enfant et d'un modèle courant, merci mon brave, c'est marqué.

Mme Gazière et M. Lampiste, votre chauffe-eau vient d'exploser et vous n'avez plus d'argent ? C'est noté.

  1. Kesse-Banc, votre agence de crédit est en faillite, vous exigez deux milliards ? C'est enregistré.
  2. Laicolot et Mme Ripaulin, 100.000 euros pour repeindre l'Élysée en vert ? C'est à étudier.

 

Avec cet emprunt miracle, si l'État récolte 128 milliards d'euros, la population française étant de 64 millions d'individus, ça fait combien pour chaque citoyen à toucher ou plutôt à payer ?

P'tits poètes si vous empruntez les passages souterrains de l'économie et si vous prenez le train des affaires, rappelez-vous ces paroles de Jacques Danois, notre ancien grand-reporter, humaniste, responsable de l'Asie pour l'Unicef, qui avait au fin fond d'une province du Viet-Nam, rencontré un chef de village, un Sage, lequel lui avait répondu : "Monsieur le représentant de l'Unicef, nous ici, nous sommes tellement pauvres qu'on ne donne rien, on partage tout".

 

André  Desforges